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Obamania

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C’est parti et bien parti. Les concurrents sont dans leurs starting-blocks, ce sera un sprint long. Attention aux faux départs qui peuvent éliminer directement, selon la nouvelle règle en vigueur imposée par les médias, le concurrent fautif. Normalement, je veux dire statistiquement, dans une telle course, ce sont les noirs qui gagnent. Alors, sans problème, je me rallie aux pronostics largement majoritaires ici, et je vote pour Obama.

A ce moment crucial du départ, les concurrents se jaugent, la tension monte, et c’est la guerre psychologique. Garder son calme pour éviter le fatal faux-départ. Déjà les sondages font monter la pression. Il paraît, selon l’un d’eux, que les Américains sont déjà lassés de voir de l’Obama partout. Fais attention Barak, ne te laisse pas sarkozyfier. De son côté, Mac Caïn se la joue cool. Il a confié à la télévision que son président de fiction préféré était David Palmer, joué par Dennis Haysbert dans le feuilleton 24 heures chrono. Nota bene : Dennis Haysbert est noir. Pas fou Mac Caïn! Ce qu’il veut dire en sous-titre est que, d’une part, il n’est pas raciste, et d’autre part, puisqu’il y a déjà un président noir en fiction, pas besoin d’en avoir un dans la réalité. Une rhétorique à la Le Pen (toute proportion gardée et sans que comparaison soit raison) toute en sous-entendu. Rhétorique qui peut être comprise ainsi par ceux qui pratiquent le même langage: un président des Etats-Unis noir c’est bien, mais seulement en fiction. Ne pouvant attaquer son rival sur sa couleur, il s’en était un moment pris à son nom, faisant entendre que Barack Obama ne sonnait pas bien américain comme James Brown ou Ray Charles, glissement du racisme à la xénophobie. Façon aussi de déjouer l’image qu’il ne peut attaquer de front, cette image toute puissante qui fait et défait les présidents.

Nous pouvons aussi retourner la problématique. C’est aussi parce que le cinéma et la télévision dans les fictions aux Etats-Unis présentent des présidents noirs comme héros crédibles, que la candidature d’Obama le devient. Il y a là une dialectique complexe entre l’image et le réel qui nous renvoie à la problématique de l’œuf et de la poule : est-ce la poule qui fait l’œuf ou l’œuf qui fait la poule ? On peut dire qu’une certaine réalité aux Etats Unis qui présente une véritable classe moyenne noire avec ses responsables et capitaines d’industrie, reliée à un travail sur l’image du noir (sortant de l’imagerie cinématographique du style « Autant en emporte le vent »), ont posé les conditions de possibilité de cet événement à la fois réel et fictionnel. Ce travail d’imaginaire sur le réel, nous le devons, encore une fois, au cinéma, et en grande partie à Hollywood. Sydney Poitier en la matière, a fait un formidable travail pour soutenir l’émancipation des noirs à travers leur image. Faut-il le répéter? Image signifie aussi reflet du réel et construction de ce réel même. A cette aune là, la France a encore un énorme travail à faire, et nous sommes encore au 19è siècle du point de vue de cet imaginaire. C’est pour cela que je crois que l’élection d’un Obama à la présidence des USA aidera non seulement la France, mais le monde entier, à faire un bond en cette matière. C’est pour cela, entre autres, que je vote Obama. Il ne sera pas seulement Président des Etats-Unis mais, d’une certaine manière, Président du monde. Une révolution mondiale se prépare, révolution par l’image. Après Obama président plus rien ne sera comme avant. Plus rien ? Je ne veux pas dire par là que la seule élection d’un président noir des Etats-Unis réglera tous les problèmes du monde. Non, bien-sûr. Mais il faut relire Frantz Fanon pour comprendre à quel point l’image imposée aux noirs et aux gens dits de couleur, a pesé sur leur inconscient et a aidé à leur aliénation. C’est comme un frein mental qui sera desserré et ce, pour le monde entier. Les vainqueurs ne seront plus seulement des gros noirs musclés du 100m olympique, des danseurs, musiciens ou chanteurs noirs, mais des gens capables de gérer un Etat, de grandes entreprises, des universités. Oui, cela devient possible, ou plutôt le redevient, puisqu’au 16è siècle, avant le commencement de la traite des noirs et la controverse de Valladolid (où il fut décidé par omission que les noirs n’avaient pas d’âme et par conséquent leur traite n’était pas immorale), Shakespeare avait écrit l’histoire d’un grand général noir, un prince et un héros qui fut appelé par une grande métropole à son secours, et se maria avec la fille d’un ses plus hauts dignitaires. Cela était possible car Othello, comme noir, était crédible à ce moment où on n’avait pas encore construit par l’image et par des pseudosciences telles la craniologie ou la physiognomonie de Lavater, le noir comme un être inférieur. Il faut relire le très beau livre illustré de Pascal Blanchard intitulé « Images et colonies » pour s’en convaincre s’il reste des doutes. Oui, c’est bien le travail dramaturgique des caractères et celui de l’image relié aux combats pour l’émancipation qui ont permis de se battre contre l’image imposée par les dominants (blancs par définition antérieure).

Mais là s’arrête mon optimisme. Je me promène sur Hollywood boulevard, j’achète un T-shirt promouvant Obama. Partout on vante son image. Mais j’assiste à deux pas, à l’arrestation d’un noir, en plein milieu du boulevard par la police montée. Ils l’ont menotté aux yeux de tout le monde. Je prends une photo furtive. Une image que je vois quotidiennement dans la banlieue parisienne, mais sans la grâce des chevaux. Cela changera-t-il avec Obama ? Je crois qu’il faudra plus d’un président noir pour que cela change. Bien-sûr, il est de gauche, bien-sûr son discours est séduisant. Mais même s’il y croyait vraiment quels seront ses moyens réels ? Ce n’est pas Obama en lui-même qui changera cela. Il faut alors se demander en parodiant Kennedy, non pas « qu’est-ce qu’Obama peut faire pour nous » mais « qu’est-ce que nous pouvons faire pour Obama ». Cela n’est pas vrai seulement pour les USA mais pour le monde entier. Et cela est nouveau.

Je rejoins, rêveur, ma voiture garée sur Hollywood boulevard. Une prune m’attend sur le pare-brise. Une prune salée. 55 dollars ! Cela non plus ne changera pas. Faut pas rêver.



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